Communication et coopération : un alliage subtil

Delacroix_jerome Par Jérôme Delacroix (chroniqueur exclusif)Coopératique

Instaurer un climat de coopération dans une équipe nécessite de mettre en cohérence les intérêts de chacune des personnes avec ceux de l’équipe. En effet, on ne coopère que si on trouve un intérêt à le faire. Pour que le manager puisse instaurer les conditions qui feront que la dynamique coopérative s’enclenche, il faut donc qu’il soit toujours attentif à ce dosage entre intérêts individuels et intérêt de son équipe ou de l’organisation en général. Encore faut-il pouvoir identifier ces attentes et ces motivations. Or, ce n’est pas toujours chose aisée, pour plusieurs raisons.

Les individus eux-mêmes ne sont pas toujours conscients de leurs propres motivations

Un salarié peut verbalement exprimer un désir de promotion mais ne rien mettre en œuvre pour l’obtenir par crainte du changement ou parce qu’il se sent bien dans son équipe et ne souhaite pas en changer. Il y alors un écart entre son intérêt exprimé et son intérêt véritable : ne rien changer. En général, cet écart est inconscient.

Les individus ne savent pas toujours exprimer leurs intérêts

Selon son vécu psychique mais aussi selon la culture de l’entreprise, un individu aura plus ou moins de facilité à exprimer franchement ses intérêts. Par peur de déplaire ou pour éviter un conflit, un salarié pourra taire une motivation professionnelle. Ceci engendre frustration , malentendus et parfois manœuvres souterraines pour arriver malgré tout à ses fins. Une telle attitude peut être le fruit d’un décalage entre les valeurs de l’entreprise et les croyances réelles ressenties au quotidien. Par exemple, si une valeur affichée de l’organisation est « le dépassement par la prise de risque » mais que la croyance dominante incarnée par la hiérarchie est que « chez nous, on ne pardonne pas les erreurs », un véritable intrapreneur réfléchira peut-être à deux fois avant de passer à l’action.

La communication électronique distante rend les choses encore plus compliquées

Comme on le sait, seule une infime partie de la communication passe par les mots. Pourtant, pendant longtemps, le travail collaboratif distant reposait principalement sur le texte : e-mails, partage de documents écrits, mémos… Tous ces supports se multipliant, et sous l’effet de la contrainte du temps, il arrive que les individus ne mettent pas les formes dans leurs écrits. Combien d’entre nous n’ont-ils pas déjà envoyé un e-mail à la hâte, qui a ensuite été mal interprété par son destinataire, conduisant à des incompréhensions, voire à des oppositions farouches ?

Dans ces conditions, quels sont les leviers dont dispose le manager pour s’y retrouver dans le clair-obscur des motivations individuelles ?

Prendre le temps

Le management coopératif demande du temps. C’est d’autant plus vrai si l’entreprise est dans une culture de la rétention de l’information et du secret. Faire changer les habitudes ne se fait pas du jour au lendemain. L’écoute active, la reformulation, un intérêt non feint lors des échanges avec ses collaborateurs sont les meilleurs moyens de décoder les véritables motivations de chacun.

Etre exemplaire

Charge au manager d’exprimer lui même clairement ses intérêts. Ici, on ne parle pas d’indicateurs tels que : « augmenter la productivité de l’équipe », « réduire les accidents du travail », « gagner de nouvelles parts de marché ». Ces dernières phrases désignent des objectifs que le manager peut assigner à son équipe, pas ses intérêts personnels. Ses intérêts personnels seront plutôt de cet ordre : « obtenir la paix sociale dans l’équipe », « se montrer à la hauteur des espoirs mis en moi par la hiérarchie », « progresser dans ma carrière ». Faut-il communiquer clairement ce genre d’intérêts ? Si vous ne le faites pas, vous aurez le choix entre y renoncer et en être frustré ou chercher à les atteindre dans le secret, donc manœuvrer. Vous ferez donc passer l’un de ces deux messages à vos collaborateurs : « chez nous, ce n’est pas possible, on ne peut pas tout dire » ou « la satisfaction passe par le secret et la manœuvre ».  Dans les deux cas, vous sapez la confiance de vos équipes.

Etre un manager coopératif signifie également être clair sur ses propres intérêts, dans le double sens du terme : y voir clair soi-même et se comporter clairement. Inutile de claironner ses intérêts professionnels. Les actes sont d’ailleurs les plus éloquents. Le manager, comme chaque membre de l’équipe, doit apprendre à choisir ses mots pour pouvoir laisser connaître à l’autre, avec diplomatie mais aussi fermeté, ce à quoi il aspire dans son travail.

Ne pas négliger le présentiel

Les entreprises sont de plus en plus éclatées géographiquement et les cadres sont de plus en plus nomades. Télétravail, réunions multiples en clientèle, diversité des rythmes de travail (vacances, RTT, congés maternité), font qu’il devient difficile de se parler et de se voir, tout simplement. Le manager coopératif veillera à instaurer des points de rencontre réguliers, en tête à tête et en groupe, pour permettre une communication directe, par-delà les mails et les messages s’empilant dans les boîtes vocales…

Miser sur le multimédia

Enfin, parce qu’il n’est pas toujours possible de se rencontrer physiquement, le manager peut mettre à profit une nouvelle génération d’outils collaboratifs, faisant la part belle à la vidéo.

Ces outils permettent de réinsuffler du naturel et de la convivialité dans le travail distant, pour des coûts aujourd’hui tout à fait raisonnables.

Si communication et coopération sont si intimement liées, c’est parce que l’entreprise a muté sur au moins deux aspects. Premièrement, elle met de plus en plus l’accent sur la relation client, dans ses murs (clients internes) et vers l’extérieur (consommateurs). Deuxièmement, elle est de plus en plus ouverte, perméable, à des partenaires. Tout ceci fait que la communication change de statut : de facilitateur du travail, elle devient en elle-même l’une des dimensions principales de ce travail. Levier essentiel de la coopération, elle n’est pas une discipline acquise une fois pour toute, mais nécessite un apprentissage perpétuel.